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fonctionnaires et libéraux, c'est possible !

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fonctionnaires et libéraux, c'est possible ! Empty fonctionnaires et libéraux, c'est possible !

Message par marcoo Sam 2 Avr - 16:01

Porter un jugement politique sur les fondements de la construction européenne

Ce qui échappe visiblement aux partisans du « oui », c’est que le scrutin référendaire n’invite pas seulement à se prononcer sur un texte nu et isolé, sans histoire ni mémoire, mais qu’il offre également l’occasion légitime de livrer un jugement politique sur deux décennies de construction européenne, et ceci non pas tant par rancœur passéiste ou aigreur d’arrière-garde, mais parce que, à l’écart des solennelles déclarations d’intention qui n’engagent à rien, ce passé est sans doute le plus fiable prédicteur d’un avenir probable.

Deux décennies d’expérience – si l’on prend pour référence la « relance » du sommet de Fontainebleau en 1984 – offrent sans doute le recul nécessaire pour juger du caractère d’un projet politique, de ses orientations persistantes et de ses idées fixes.

Or, et les opposants ne s’y sont pas trompés, le credo essentialiste de la construction européenne, son vrai trésor, son cœur battant, c’est le « grand marché ». On connaît le regret célèbre – certes apocryphe - de Jean Monnet qui, le cours du temps pût-il être remonté, aurait choisi de lancer l’Europe « par la culture » et non « par l’économie ». Malheureusement ce qui est fait est fait, et cet aveu devrait suffire à indiquer en creux de quel modus operandi l’Europe a réellement procédé.

Le « oui » peut bien multiplier les extraits lénifiants du traité pour faire oublier la politique de la concurrence : au regard de ce passé, de son poids et de son pli, de ses cristallisations institutionnelles et de ses tendances invétérées, les oblats [un type d’individu façonné par les contraintes dans lesquelles il est enfermé, qui finit par devenir ce que les nécessités requièrent et qui, par là-même, est amené à épouser ce qui a défini sa fonction – terme d’origine religieuse] qui chantent l’Europe sociale et le souci de l’environnement ne sont pas davantage que de l’encre sur du papier.

Misère de la lecture littérale : parmi les dévots, il s’en est même trouvé un, à la béatitude plus systématique que les autres, pour dénombrer les occurrences comparées des termes « social » et « concurrence » et, constatant que le premier apparaissait environ quatre fois plus que le second, y voir un motif suffisant, preuve mathématique en main, de pousser de stridents petits cris de victoire social-démocrates.

Il est vrai qu’il s’agit de Dominique Reynié [1], jadis politologue, sans doute désireux que sa formation antérieure à la méthode scientifique ne soit pas totalement perdue, mais surtout animateur d’une émission quotidienne de catéchisme européen, déguisée en « information du public », sur une chaîne câblée qu’une modification patronymique minimale permettrait sans effort de rebaptiser oui-télé [2].

Il y a donc une façon de regarder les traités dont on est bien certain qu’elle n’en livrera jamais aucune intelligence. A l’image de la lecture enfantine, ânonnant au fil du doigt des mots séparés dont la signification d’ensemble lui échappe, l’effrayante carence intellectuelle de la lecture juridique décontextualisée et dépolitisée du traité, tient tout entière dans son désir de prendre pour argent comptant des articles à la générosité sans suite, tenus pour équivalents en force à d’autres qui ont derrière eux un demi-siècle de pratique et de création institutionnelle.

L’ignorance spontanée ou délibérée des significations politiques véritables à l’intérieur desquelles le texte constitutionnel européen prend sens, à plus forte raison, comme y insistent assez maladroitement ses défenseurs, quand le traité (dans sa partie III) ne fait que récapituler les traités antérieurs, rend indigente la lecture formelle « séparée », détachée de l’histoire, de ses pratiques et de ses effets réels, bref de tout ce par quoi lesdits « traités antérieurs » sont devenus une politique.

Elle rend en particulier incapable de comprendre, faute de penser seulement à le poser comme problème, le mystère spécifique du traité de Rome [du 25 mars 1957] dont les défenseurs du « oui » se bornent à répéter qu’il n’y a rien à en craindre puisqu’il est dans le paysage depuis un demi-siècle !

Or il y a matière à s’interroger à propos de ce texte ancien à la destinée improbable, et d’abord pour comprendre comment, objectivement aussi libéral, il a pu être écrit au cœur d’une époque aussi keynésienne.

Il faudrait sans doute évoquer l’association de rencontre entre un pragmatisme de hauts fonctionnaires avant tout préoccupés de réduire concrètement quelques barrières douanières et d’une pensée doctrinale libérale autrement armée, principalement sous influence allemande.

Sans doute aidé du grand syndrome post-traumatique d’après-guerre, porté à imaginer toute concentration excessive de pouvoir en l’Etat comme un germe potentiel d’hubris nazi, l’ordolibéralisme allemand s’assimile au libéralisme classique anglo-américain pour voir dans la concurrence généralisée le plus sain principe d’organisation économique, mais s’en distingue en considérant que ses conditions de possibilité, loin de se former et de se reproduire spontanément, sont en permanence à surveiller et à recréer par une tutelle éclairée.

La part « ordo » de ce libéralisme ne veut donc pas le dépérissement complet de la puissance publique, mais son maintien fonctionnel pourvu qu’elle soit exclusivement dévouée à la défense de la concurrence, sans cesse menacée par la distorsion des ententes ou la formation endogène de positions dominantes.

Le marché ne survit donc dans sa pureté bénéfique que sous la surveillance d’un régulateur bienveillant, mais, de fait, nécessairement hors-marché, et c’est là une nuance suffisante pour que les fonctionnaires bruxellois de la Direction Générale « Concurrence » [la DG Com 3] ; héritiers historiques de la pensée ordolibérale devenue européenne, soient portés à se considérer comme des gens tout à fait modérés, bien différents en tout cas des idéologues libéraux extrêmes – ceux qui pensent non seulement que le marché est magnifique, mais également qu’il se tient très bien tout seul et n’a vraiment besoin de personne.

Ces interrogations n’ont pas qu’un intérêt académique car les origines lointaines et paradoxales du libéralisme européen d’aujourd’hui, formé au cœur d’une époque qui voyait avec raison l’Etat comme indispensable régulateur de l’anarchie marchande, en disent long également sur le lent processus historique de prise de pouvoir concrète d’un texte juridique longtemps resté lettre morte.

Il est vrai que les repères historiques sont singulièrement brouillés à constater que tous les principes du droit européen de la concurrence dont l’application nous semble un fléau récent sont effectivement écrits depuis le traité de Rome de 1957… mais qu’à la fin des années 70 encore, le directeur du Trésor peut se contenter de mettre à la poubelle, sans autre forme d’examen, une lettre d’observation de la Commission européenne émettant des objections de non-conformité au traité à propos d’un dossier d’aides d’Etat !

Mystère d’une norme juridique réputée supérieure – celle d’un traité européen – demeurée non seulement inopérante mais ouvertement bafouée pendant presque quarante ans.

A l’encontre donc des partisans du « oui » qui, renvoyant sans cesse au traité de 1957, voudraient faire jouer par association toutes les réminiscences d’un âge d’or pour persuader que le droit européen de la concurrence est aussi inoffensif aujourd’hui qu’il l’était naguère, il faut donc rappeler comment le « petit chose » est devenu une implacable machine libérale.

La haute fonction publique française convertie au libéralisme

En matière d’âge d’or, celui de la DG « Comp » ne correspond pas exactement aux années 60-70, longue période d’obscurité et de mépris, dont la sortie ne s’effectue que progressivement à partir des années 80.

La contingence historique y a sa part au moment où, par exemple, se pose le problème de la restructuration de la sidérurgie, immédiatement pensé comme une opération à coordonner au niveau européen, où le droit des aides d’Etat va par conséquent trouver une de ses toutes premières opportunités de se faire valoir in concreto.

Mais il faut surtout y voir l’effet de la relance européenne de 1984, amorce du grand mouvement d’abandons, consentis ou forcés, des prérogatives de la souveraineté nationale, qui voit les gouvernements envisager de se soumettre un peu plus sérieusement à la norme juridique européenne.

Une petite phénoménologie de la haute fonction publique française offrirait sans doute le plus parlant des raccourcis de l’emprise croissante de l’Europe sur les politiques nationales de concurrence, notamment en matière d’aides d’Etat.

Au mépris d’acier pour un machin bruxellois qui a l’outrecuidance de contester la façon dont l’Etat français souverain attribue ses aides publiques comme bon lui semble, succéderont dès le début des années 90 les premières réactions de panique aux rappels à l’ordre de la Commission qu’il n’était venu à l’idée de personne de prendre en considération au moment par exemple de décider d’un soutien à une entreprise en difficulté – un net progrès déjà par rapport à la corbeille à papier des années 70.

En quelques années, en particulier à l’occasion du sauvetage du Crédit Lyonnais [en faillite et dont le passif est transféré aux contribuables], les élites administratives françaises sont définitivement domestiquées et aussi obéissantes qu’un gros animal de cirque. Non seulement l’idée d’une obligation de conformité avec le droit européen est intégrée comme une seconde nature, mais on va au-devant des exigences de la Commission en lui présentant des dossiers qui proposent d’eux-mêmes de larges amputations de l’entreprise « aidée » sans lesquelles on sait maintenant que le plan de restructuration ne passera pas la validation européenne.

Pour la DG « Comp », les années 90 sont bien celles de la conquista et de la vengeance des humiliations passées. Persuadés d’être le fer de lance de la construction européenne – celle-ci ne s’est-elle pas d’abord donné la figure du « grand marché » ? –, fiers de leur réputation de « méchants » qu’ils assimilent à la rigueur d’une destinée historique, les fonctionnaires de la DG « Comp » ont parfaitement conscience que la dynamique est de leur côté et que leurs homologues nationaux ont désormais le dessous. Le fait a rejoint le droit, et force revient comme il se doit à la loi, la seule, la loi européenne, celle de la concurrence non distordue, qui s’imposera aux Etats dont toute action est désormais en puissance une distorsion.

Portée par le mouvement de l’histoire, la DG « Comp » envahit tous les espaces, capte tous les pouvoirs qu’on lui laisse prendre, puisque comme tous les mouvements de projection de puissance et d’affirmation de soi, celui-ci ne s’arrêtera qu’en rencontrant une force opposée – or en face il n’y a rien.

Il n’y a rien puisque la dynamique même du mouvement d’acceptation effective par les Etats-membres de la norme juridique européenne a revêtu celle-ci d’une légitimité qui s’approfondit maintenant un peu plus à chacune de ses réussites pratiques.

Le dossier Crédit Lyonnais qui l’occupe à partir de 1994 est une aventure exaltante pour la DG Comp, un raid plein d’audace et sentant bon la poudre puisqu’il a pour enjeu de faire pénétrer le droit européen des aides d’Etat dans le domaine des services financiers, jadis sanctuaire des ministères de l’économie nationaux. Ceux qui ont gardé la mémoire de cette affaire particulièrement haute en couleur se souviennent sans doute de ce jour de 1998 où, sous prétexte de rétablir le rapport de force en sa faveur, Karel Van Miert [4], commissaire à la concurrence de l’époque, n’hésita pas à évoquer publiquement l’hypothèse d’une mise en faillite du Crédit Lyonnais si l’Etat français ne pliait pas enfin, et ceci visiblement sans la moindre notion de ce que peut être une ruée bancaire et comme s’il s’était agi d’une chaîne d’électroménager ou d’une entreprise de conserves.

Exemplaire à bien des égards, l’affaire Crédit Lyonnais l’est sans doute le plus par la force avec laquelle elle a signifié qu’il n’est pas un territoire de la puissance publique nationale, fût-il jadis réputé inviolable – et Dieu sait si le secteur bancaire le fut –, que le droit européen de la concurrence n’ait vocation à mettre en coupe réglée.

Aussi faut-il être d’un aveuglement total pour ne pas voir, ou ne pas vouloir voir, le sens que prend maintenant la construction européenne, et d’une surdité profonde pour ne pas entendre le message que, désormais dominatrice, la Commission répète sans avoir à élever la voix, avec la sûreté de soi et le sentiment d’évidence de ceux qui savent la force de leur côté : « il n’est pas une activité économique qui n’échappera à la loi de la concurrence libre, et à terme pas une activité humaine puisque toute activité humaine est susceptible de faire l’objet de rapports économiques ».

Les services publics, la santé, la culture n’auront droit au mieux qu’à des statuts d’exemption temporaire, tous et toutes ont vocation à la normalisation concurrentielle. Telle est bien l’allure que prend la construction étendue du droit de la concurrence, noyau dur historique du projet européen s’agglomérant progressivement toute une série de satellites, comme un trou noir capture tout ce qui passe dans son bassin d’attraction, et ceci aussi bien au-dedans de l’Union – par approfondissement et généralisation du « marché intérieur » à tous les secteurs de la vie sociale – qu’au dehors, comme l’atteste la teneur des mandats de négociation du commissaire européen au commerce extérieur à l’OMC, à l’AMI [Accord multilatéral sur l’investissement] ou à l’AGCS (Accord général sur le commerce des services)
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