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Message par rasiba8 Dim 12 Juin - 11:06

DISCOURS DE MADAME SIMONE VEIL
Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah
Conférence sur l'antisémitisme et autres formes d'intolérance
OSCE, 9 juin 2005, Cordoue

Monsieur le ministre des Affaires étrangères,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,



Je tiens d'abord à remercier les organisateurs de cette conférence, et à transmettre à l'Espagne, qui nous accueille, et à Monsieur le ministre des Affaires étrangères du Gouvernement espagnol, l'expression de ma gratitude. Que nous soyons aujourd'hui réunis à Cordoue, ce n'est pas un hasard, c'est un symbole. Du moins est-ce ainsi que je le ressens.

Bien que restée en dehors de la Seconde Guerre mondiale, tenue à l'écart de la catastrophe qui embrasait quatre continents, sans doute parce qu'elle avait eu, trois années auparavant, son compte de tragédies, l'Espagne n'en a pas moins choisi de transmettre le flambeau du souvenir. Elle atteste, par la vigueur de son témoignage et par la dignité de son recueillement, que la mémoire n'est ni le monopole des enfants des victimes ni l'apanage des enfants des bourreaux. Elle est universelle. Elle n'est rien moins que la conscience de l'humanité.

Et puis, qu'il me soit permis de rendre hommage à la place très particulière, et singulièrement émouvante, qu'occupe l'Espagne dans cet effort de témoignage, de transmission, et de dignité, qu'on appelle la mémoire. Cette place, l'Espagne l'a dessinée et l'a conquise récemment, puisque après les affrontements qui l'ont déchirée durant les sombres années de la guerre civile, elle a su trouver les chemins de la réconciliation. Vous imaginez combien il est réconfortant de constater que la mémoire est avant tout une construction, que le temps n'est pas nécessairement celui qui efface, mais aussi celui qui bâtit. Plus consciente du passé, plus attentive aujourd'hui qu'hier aux exigences de la mémoire, l'Espagne, grâce à la détermination de son gouvernement et à l'autorité de son roi, nous donne des raisons d'espérer.

Quant au fait que nous soyons réunis à Cordoue, j'y vois un symbole qui mérite que l'on s'y attarde. Cordoue, c'est pour chacun d'entre nous une image, peut-être plus conforme à nos rêves qu'à la dure réalité, peut-être produite par nos utopies plus que par l'histoire telle qu'elle fut ; mais une image qui existe tout de même, et auprès de laquelle les consciences s'apaisent : celle de la fraternité, celle de l'harmonie enfin établie des religions monothéistes. Cordoue demeure, pour nous autres Européens de coeur, la ville qui nous rappelle qu'être différent ne signifie pas nécessairement être ennemi. Tâchons de nous en souvenir.

Cette mémoire, dont nous sommes les dépositaires, que signifie-t-elle ? A quelles exigences nous confronte-t-elle ?

D'abord, à l'humilité. La mémoire est une humble fierté. Hériter de la mémoire, ce n'est pas hériter de la souffrance, et moins encore du statut de victime. C'est garder, présente comme une menace plus que comme une douleur, et comme une vigilance plus que comme un remords, la conscience de ce qui s'est passé.

C'est ensuite un devoir à demeurer lucides. Il y a trois mois, j'ai eu l'honneur bouleversant et redoutable de prendre la parole à Auschwitz, au nom de tous les survivants de la Shoah, à l'occasion du soixantième anniversaire de l'entrée des troupes soviétiques dans le camp d'extermination. Je mesurais alors tout ce qui ne nous sera jamais rendu. Si tout deuil est, par nature, irréparable, la Shoah est la quintessence de l'irréparable. Les trois quarts des juifs d'Europe sont morts, ils ont été assassinés, dans l'indifférence des nations. Ils sont morts à cause de la complaisance et de la complicité de ceux qui auraient pu les sauver. Ils sont morts parce qu'ils étaient juifs, et que dire d'autre ? Sinon que les mots sont trop pauvres pour évoquer l'horreur des crimes contre l'humanité qui ont été commis ?


Le négationnisme est la forme la plus redoutable de l'antisémitisme moderne


Quiconque voudrait nier le fait qu'ils ont été assassinés, quiconque voudrait contester l'ampleur de la tragédie, doit être proclamé hors-la-loi. Je le dis avec gravité, avec fermeté, avec solennité : le négationnisme est la forme la plus redoutable de l'antisémitisme moderne. Ce n'est pas parce qu'il est absurde, ce n'est pas parce qu'il repose sur une fable, que nous devons l'ignorer ou le mésestimer. Les persécutions contre les juifs se sont toujours fondées sur des fables et sur des absurdités. Méfions-nous donc de cette fable-là, qui se répand, avec la rapidité de la haine et du mensonge, parmi les esprits enflammés et serviles.

Le génocide des juifs nous oblige à un travail permanent et inlassable de transmission, afin que ce qui fut n'arrive plus jamais. Si nous voulons que ce « plus jamais » ne soit pas une vaine incantation, il nous faut toujours regarder en face les dangers ; il faut d'abord savoir les discerner et les nommer : c'est la première condition pour les prévenir et les conjurer. Il faut ensuite les dénoncer et les combattre.

Je viens d'un pays qui a vu l'antisémitisme se développer à nouveau sur son sol. Sans tomber dans l'approximation, l'exagération, l'aveuglement ou la calomnie, je dirai aussi que l'antisémitisme qui se lève en France, et plus généralement en Europe, de façon alarmante, ce n'est pas seulement de l'antisémitisme, c'est une intolérance fondamentale à tout ce qui n'est pas soi, à tout ce qui est différent, à tout ce qui est étranger. Tous les racismes, quels que soient ceux qui en sont les victimes, portent atteinte à l'honneur des nations européennes.

La France, ainsi confrontée à des situations de violence qui mettent en péril la paix civile, les valeurs qui la fondent et sa dignité, je le dis avec une certaine fierté, a su réagir. Son Président de la République, son gouvernement, ont montré, avec vigueur et clarté, où était la limite au-delà de laquelle la liberté d'expression devenait une atteinte intolérable à l'intégrité des personnes. Nous avons entendu le Président de la République française déclarer que l'antisémitisme n'était pas une opinion, mais une perversion. La France, pays qui proclama les Droits de l'Homme, demeure fidèle à son idéal, à son histoire, à sa grandeur. Je veux saisir devant vous l'occasion qui m'est donnée de défendre l'honneur de notre République.

Je ne parle aujourd'hui de la France qu'à titre d'exemple car comprenant la plus importante communauté juive d'Europe, ses autorités publiques ont fait preuve de la plus grande vigilance devant la recrudescence des actes antisémites. La Fondation pour la Mémoire de la Shoah que j'ai l'honneur de présider est particulièrement attentive à ces questions et aux moyens mis en œuvre pour y répondre.

Mais les conclusions que je tire de l'état de mon pays sont valables à mon sens pour nous tous ici. En effet, d'où vient la haine ? De l'ignorance. Qu'est-ce qui peut réduire la haine ? La connaissance. Nous ne sortirons de cette alternative qu'en travaillant tous ensemble. Pour prévenir le retour de l'antisémitisme, qui a endeuillé notre histoire commune, il y a une première arme : l'éducation. Rien n'est plus malléable qu'un cerveau d'enfant : vous pouvez le former irrémédiablement à la haine, ou bien l'élever à la véritable tolérance, qui est la conscience que les autres existent autant que lui. Permettez-moi de rappeler ici l'exemple de la clairvoyance de Jean XXIII grâce à qui l'enseignement chrétien a été totalement révisé, de façon à ce qu'en soient exclues toutes les allusions au « juif perfide » ou au « peuple déicide ». C'est ainsi, et ainsi seulement, que l'antisémitisme chrétien a pu commencer de perdre ses racines. Cette haine immémoriale, dont la conscience était chargée de tant de morts, a été réduite, et peut-être vaincue, parce que ceux qui la professaient ont cessé de disposer de l'âme des enfants. Pendant deux mille ans, on a enseigné aux enfants chrétiens que les juifs avaient tué Jésus. Aujourd'hui, s'en est fini de ce mensonge, la vérité a été enfin rétablie, mais nous devons néanmoins rester vigilants et ne pas accepter les tentatives de ceux qui veulent, à nouveau, instiller la haine et faire renaître des mythes et des fantasmes porteurs d'intolérance et de fanatismes

Ce qui a été possible pour les autorités spirituelles le sera pour chacune de nos sociétés, mais à la condition qu'elles le fassent ensemble. Je le dis avec émotion, en ces jours si chargés de regrets et d'inquiétudes : la mémoire dont nous sommes les dépositaires a un garant, et, pour nous, c'est l'Europe. L'unité de nos nations réconciliées repose sur la conscience que, sur tout notre continent, il y a à peine soixante ans, six millions de Juifs, dont plus d'un million d'enfants, sont devenus cendre, elle repose sur la volonté de ne plus jamais voir s'ouvrir sous nos pieds le gouffre de la barbarie.

Nous sommes ici pour dire, avec la gravité qu'inspire la conscience de remplir une mission, que nous nous souviendrons, que nous n'oublierons pas ce qui fut, et que nous sommes résolus à bâtir la seule paix invulnérable, celle de la mémoire.



Le pari de ceux qui, comme Goethe et Victor Hugo, estiment que les frontières ne sont pas destinées à être des barrières


Cette paix sera notre bien commun, et l'Europe sera notre nouvelle frontière à tous, notre avenir partagé. Mais une institution comme la vôtre va au-delà : elle réunit d'autres pays, d'autres continents. Elle justifie, par la seule force de son existence, mais surtout par sa détermination, ses initiatives, et ses actions, un pari bouleversant : le pari de ceux qui, comme Goethe et Victor Hugo, estiment que les frontières ne sont pas destinées à être des barrières, que l'idée de fraternité est supérieure à toutes les idéologies concurrentes, que ce qui rassemble les hommes est plus puissant, et tout simplement plus réel, que ce qui les sépare.

Nous sommes réunis, aujourd'hui, contre l'intolérance, contre tous les racismes, pour l'honneur de la pauvre humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Nous sommes réunis pour rappeler quelques vérités élémentaires mais fondamentales et qui ne doivent jamais tolérer aucune compromission. Nous sommes venus ici rappeler que ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise, pour choisir l'union des valeurs communes plutôt que l'affrontement des passions contraires. Nous sommes venus rappeler qu'un continent qui a été brisé, humilié, par une barbarie jamais égalée, peut se retrouver autour de quelques principes : la démocratie, le respect de l'autre, les droits fondamentaux de la personne humaine.

Merci à l'OSCE de nous donner l'occasion de le dire, le courage d'y croire, et la volonté de lutter.

Le témoin que je suis, les témoins que nous sommes, sommes venus proclamer que nous n'avons pas perdu confiance en l'Homme et que nous voulons, ensemble, trouver les moyens concrets de faire échec à l'ignorance et à la haine pour bâtir, au contraire, un monde de tolérance, de liberté et d'amitié.

rasiba8
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