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Véronique, l'ivoirienne des Vosges.

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Véronique, l'ivoirienne des Vosges. Empty Véronique, l'ivoirienne des Vosges.

Message par Francois Lun 31 Jan - 22:21

Comment les habitants d'Aouze, un village vosgien, ont bataillé contre l'expulsion de Véronique Kouamé, une jeune fille au triste destin
L'HISTOIRE commence le dimanche 26 janvier 2003 à Barville, un minuscule village situé à mi-chemin entre Chaumont et Nancy. Ce jour-là, l'orage menace, le temps est aussi glacial qu'il peut l'être dans cette plaine des Vosges balayée par les vents. Une jeune femme noire, accompagnée d'un petit garçon, est accoudée sur le pont qui domine le Vair. « Je regardais l'eau, les poissons, raconte Véronique Kouamé, et j'ai été prise d'un grand désespoir ; je me demandais ce que j'allais devenir, sans papiers, toute seule, sans argent, sans amis. Après avoir tant rêvé de la France, j'avais des tas de mauvaises idées dans ma tête. Mes larmes ont coulé, de plus en plus fort. Il a commencé à pleuvoir. »

Véronique se décide à rentrer. Sur le chemin, elle rencontre Claude Mourot, 55 ans, qui habite la région avec sa famille. « On aurait dit une petite vieille toute recroquevillée », se souvient ce solide conducteur d'engin. Il lui propose de la raccompagner chez elle en voiture. Elle refuse. « Je ne le connaissais pas, je ne savais pas ce qu'il me voulait. », se souvient-elle. Il lui donne tout de même son numéro de téléphone : « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à m'appeler. »

Deux ans plus tard, jour pour jour, le mercredi 26 janvier 2005, Véronique rayonne de joie. « Je suis trop contente, oui, je suis réconciliée avec la France », s'exclame la jeune fille en apprenant que le préfet des Vosges vient de lui accorder un permis de séjour. Et puis, ce cri du coeur : « Merci à tous ceux qui m'ont aidée, les familles Mourot, Charroy, Fréchin, tous ceux du village. Sans eux, que serais-je devenue ? »

Née en 1979, près de Bangora, dans l'est de la Côte d'Ivoire, elle a 13 ans quand son père, un riche producteur de cacao, meurt dans des conditions obscures. On dit qu'il a été empoisonné par des membres de sa propre famille. Véronique, qui reconnaît avoir vécu jusqu'alors « une enfance dorée », commence une lente dérive.

Prise en charge par un oncle qui s'occupe de moins en moins d'elle, cette élève brillante doit arrêter ses études juste avant le bac. Une amie lui propose alors de partir en France. Dans les Vosges, un couple - lui est français, elle ivoirienne - cherche une jeune fille pour garder son bébé. « D'un côté, confie-t-elle, j'avais un peu peur de l'inconnu. Je connaissais la France uniquement par mes cours d'histoire-géo. Mais, vu de Côte d'Ivoire, cela me paraissait un pays magique, où tout tombait du ciel, où il suffisait de ramasser des déchets de vache pour être payé au mois. »

Véronique fait le grand saut. Le 4 février 2000, la voici à Attignéville, un village où elle découvre la neige, le froid. « C'était supportable, dit-elle, et j'étais si heureuse de changer de vie. » Elle doit vite déchanter. Non seulement il lui faut s'occuper du bébé, âgé de cinq mois, mais aussi de la vaisselle, du ménage, des repas, et cela sept jours sur sept. Sa logeuse ne travaille pas mais ne l'aide pas pour autant. « Elle restait à la maison sans rien faire. » Quant à son mari, vendeur de machines agricoles, il « passait son temps à jouer sur son ordinateur ». « Quand ils recevaient des gens à dîner, c'était moi qui préparais le repas, mettais la table, mais je n'avais pas le droit de sortir de ma chambre quand les invités arrivaient. »

Au bout de trois mois, alors qu'elle n'a pas perçu un centime, ses logeurs lui annoncent qu'ils n'ont pas obtenu de permis de séjour et qu'elle doit retourner dans son pays afin de demander un nouveau visa. En mai 2000, Véronique Kouamé part, découragée, « sans aucune envie de revenir en France ».

Un mois plus tard, elle reçoit un appel téléphonique d'Attignéville. Le couple lui demande de revenir, « surtout pour le bébé, qui a besoin de toi ». On lui promet un salaire - 500 francs par mois -, des études par correspondance, ainsi qu'un certificat de séjour. La jeune fille accepte. Le 28 août 2000, elle reprend l'avion, pleine d'espoir. « Je me suis dit : adieu la Côte d'Ivoire, tout va s'arranger. » Espoir déçu, une nouvelle fois. Sa situation empire. « Nous te logeons, te nourrissons, nous allons t'obtenir une carte de séjour pour dix ans et te faire soigner. Tu fais partie de la famille. Mais nous ne pouvons pas te payer », lui dit le couple deux mois après son arrivée.

« Je n'avais personne à qui demander conseil, poursuit Véronique, j'étais obligée d'accepter. Quand je parlais de ma carte de séjour, ils remettaient cela à plus tard : on verra à l'automne, puis à l'été, puis à l'année suivante. » Le calvaire continue, sept jours sur sept, de 6 h 30 à 23 heures. « Je n'avais personne à qui parler. J'écrivais le soir à ma tante pour lui dire que je n'allais pas bien. Même la télé de ma chambre ne fonctionnait pas ! Et j'étais trop fatiguée pour lire. » A la séparation du couple, quelques mois plus tard, Véronique se retrouve seule avec l'enfant. Le père est parti vivre dans un village voisin, la mère à Paris. Neuf mois durant, la jeune Ivoirienne reste terrée dans la maison. De temps en temps, le père vient remplir le réfrigérateur et lui laisse quelques euros. Elle a froid. « Il n'y avait pas toujours assez de bois et un radiateur sur deux ne marchait pas. » Le petit garçon souffre de l'absence de ses parents, il a des crises d'agressivité. Véronique n'en peut plus. Jusqu'à ce dimanche de janvier 2003 où elle part se promener à Barville, un village voisin. Et croise donc Claude Mourot. Une rencontre qui va changer sa vie.

Une semaine plus tard, la jeune fille se décide en effet à lui téléphoner pour lui demander un peu de bois de chauffage. Claude la met en confiance, l'incite à se confier. « Je ne vous promets rien, je n'ai jamais vu une situation comme la vôtre, mais nous allons voir ce que nous pouvons faire », lui dit cet homme souriant et pudique, qui n'aime pas trop s'attarder sur le « pourquoi du comment ». « Chez moi, c'est naturel d'aider les gens, explique-t-il, j'ai été élevé comme cela. Et peu importe la couleur de la peau. Dans le village, quand quelqu'un a des ennuis, on oublie souvent les griefs pour l'aider. » Un étonnant mouvement de solidarité va alors se mettre en place.

APRÈS avoir conduit l'enfant chez son père, et récupéré le passeport de la jeune Ivoirienne, Claude mobilise sa famille. A commencer par Paulette, sa mère. Un personnage, Paulette ! Bon pied bon oeil en dépit de ses 81 ans, voilà soixante ans que cette femme dure à la tâche, et qui n'a pas sa langue dans sa poche, habite dans une maison propre comme un sou neuf d'Aouze. Comme tant d'autres, ce petit village vosgien se vide peu à peu de ses habitants : 800 en 1950, 215 en 2004. Paulette vit seule depuis la mort de son mari, voilà quatorze ans. Véronique sera logée chez elle. « C'était le 31 mai 2003 », précise la jeune ivoirienne en consultant le gros cahier où elle a écrit son histoire. « Tu es sûre de la date ? », intervient la vieille dame. « Mais oui, mamie, tu avais même ta robe bleue à rayures ! » Une vraie grand-mère, Paulette, capable de râler de temps à autre, par exemple à propos du désordre de la chambre de Véronique, mais qui veille sur elle comme sur un trésor. « Si les gendarmes venaient pour l'expulser, je leur dirais : «Messieurs passez votre chemin», et je ne leur ouvrirais pas la porte ! Ah, je voudrais bien voir ça, qu'ils veuillent l'expulser ! »

La famille se bat d'abord pour que Véronique obtienne une carte de séjour. Un vrai parcours du combattant. Michèle Charroy, la fille de Paulette, s'adresse à la préfecture. Elle apprend non seulement que Véronique ne peut pas obtenir le précieux sésame mais qu'elle risque en plus d'être reconduite à la frontière. Une de ses amies, Anne Fréchin, étudiante en développement local, prend le relais. « Le plus dur, raconte celle-ci, fut de rentrer dans le réseau, de trouver le mode d'emploi. Au début, on a cafouillé, notamment en suivant le mauvais conseil du consul de Côte d'Ivoire, celui de demander l'asile politique, qui a été refusé. » « Heureusement, nous avons contacté des organisations comme Amnesty International, la Ligue des droits de l'homme ou SOS-Racisme, qui, elles, avaient le mode d'emploi », poursuit Anne, pour laquelle Véronique est devenue « plus qu'une amie, une soeur ».

La famille s'adjoint également l'aide d'un avocat de 35 ans, Jean-Louis Kippfer, spécialiste du droit des étrangers. Un battant, lui aussi, qui ne lâche pas sa proie. S'engage alors une double bataille juridique. La première étape consiste à déposer une plainte contre le couple de logeurs. Ces derniers seront mis en examen pour « soumission d'une victime à des conditions de travail contraires à la dignité humaine, travail clandestin par dissimulation de salarié et abandon matériel de mineur ». Au cours d'une première confrontation, ils ont tout nié en bloc.

Autre priorité : empêcher l'expulsion de Véronique. Tandis que Me Kippfer défend son dossier devant le tribunal administratif et la préfecture, la famille Mourot mobilise le village d'Aouze. Une pétition est lancée. Tous les habitants, sauf trois, la signent. La population est conquise par la gentillesse de Véronique, qu'elle voit chaque jour aider Paulette à faire une courte promenade. Les proches voisins, des paysans rigolards, sympathiques en diable, se moquent gentiment d'elle au passage. « C'est parce que je ne suis pas rasé que tu ne me fais pas de bise aujourd'hui ? », interroge l'un d'entre eux. Véronique sourit timidement. « Par sa présence, elle est le soleil auprès de Mme Paulette Mourot, qu'elle accompagne aux offices religieux », écrit l'abbé Michel Fréchin.

Le maire, Bernard Ouger, charcutier à la retraite, participe aussi au mouvement. Même s'il regrette quelque peu l'excès de médiatisation que cette affaire entraîne pour son village. « Ici, on n'aime pas trop que l'on parle de nous. Bien sûr, cette jeune femme ne gêne personne et il faudrait qu'elle reste, mais que va-t-elle devenir après ? » Paulette, de sa plus belle plume, écrit : « Donnez-lui la chance de vivre avec nous. Véronique a trouvé un toit, elle mange à sa faim, et, le plus important, elle vit dans une famille qui l'aime beaucoup. » La bataille avec l'administration est rude, longue, parfois décourageante. « Par moments, en écoutant les gens de la préfecture, confie Claude Mourot, j'en étais à me demander si j'avais bien fait de l'aider ! »

Oui, il a bien fait, Claude. S'appuyant sur l'avis favorable émis par la commission du titre de séjour, le préfet des Vosges vient de décider d'accorder à Véronique un titre de séjour d'un an. Celle-ci, qui a trouvé un emploi à mi-temps chez un maraîcher voisin, pourra maintenant s'inscrire à des cours de rattrapage scolaire. Et peut-être réaliser ses rêves : passer un BEP sanitaire et social puis devenir aide-soignante. « Tu devrais aussi penser à trouver un mari », lui lance Paulette en riant.

José-Alain Fralon

Je ne peux vous mettre le lien, cet article du Monde étant payant.
J'ai aimé cette histoire, qui montre que face à des cas concrets, les gens sont bien moins racistes que ce que voudrait faire croire la propagande du f-haine.
Cela s'est vérifié aussi par rapport à la régularisation de sans-papiers dont les enfants étaient scolarisés.
Francois
Francois
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Date d'inscription : 01/01/2005

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