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ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil

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Message par Romane(Venise) Dim 19 Oct - 12:46

ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil

de Philippe Ridet


A la télévision, sur les photos de presse, il affiche dix ans de plus. Les joues toujours mangées d’une barbe de trois jours, le cheveu ras et noir, le regard voilé. Sur le visage marqué de Roberto Saviano, 29 ans, on devine les traces d’une vie traquée. Une vie sous protection permanente depuis que les Casalesi, le plus puissant des clans camorristes de Caserte (Campanie), l’ont rendu responsable de la condamnation à la perpétuité de leurs chefs.

Condamné à mort pour avoir écrit, à 26 ans, Gomorra (Gallimard, 2007) - une référence biblique - afin de raconter la violence de la Camorra napolitaine, ses crimes, ses personnages cruels, bien loin de l’imagerie du Parrain sicilien. Résultat : un récit noir et tendu, vendu à 1,2 million d’exemplaires en Italie qui font de son auteur une sorte de croisement entre James Ellroy et Pier Paolo Pasolini.

Mais, ce jour-là, au siège romain des éditions Mondadori, cet homme traqué a ce mélange d’indifférence, de décontraction et de gentillesse qui sont la marque de sa génération.

Avachi sur un canapé de cuir rouge, il s’apprêtait à "fêter", avec les policiers qui le surveillent jour et nuit, deux années sous escorte. Il les appelle ses "anges gardiens", eux lui donnent du "capitaine" comme s’il était devenu l’un des leurs. Souriant volontiers, mêlant la dérision au courage, il raconte sa vie errante, de commissariats en casernes, ses voyages en véhicule blindé, sa solitude. Comment il tue le temps entre l’élaboration de recettes de cuisine et des cours de boxe. Partir ? Laisser l’Italie à son sort et Naples à ses crimes ? "Je ne me résigne pas."

Drôle d’anniversaire. Le lendemain de cette rencontre, un repenti confiait à la police qu’un attentat se préparait contre l’écrivain journaliste. Nouvelles mesures de sécurité, nouveau déménagement. Lassitude. Mercredi 15 octobre, Roberto Saviano s’est confié à La Repubblica, le quotidien de centre gauche pour lequel il a souvent travaillé, et a annoncé qu’il voulait quitter l’Italie, au moins pour un certain temps. "La bulle de solitude qui m’enserre m’a rendu mauvais, soupçonneux, inquiet."

Jusqu’alors, c’est la colère qui l’a fait tenir. La colère et l’entêtement lui ont fait rédiger une postface vibrante à son livre dans La Repubblica du 22 septembre. Deux pleines pages titrées "Lettre à Gomorra", où Saviano déverse sa rage, et sa honte, après le massacre au kalachnikov, quatre jours plus tôt à Castel Volturno (Campanie), de sept personnes dont six Africains. Dernier épisode d’un été sanglant dans les faubourgs de Naples. Interpellant les Italiens et leur fatalisme, il leur lance : "Dans n’importe quel autre pays, la liberté d’action laissée à une telle meute de tueurs aurait suscité un débat, une polémique, des réflexions. Au contraire, ici, on traite ce cas comme si ces crimes étaient liés à la nature d’une province considérée comme le trou du cul de l’Italie."

La Camorra, sa traînée de sang. Encore et toujours. Il y revient, tenant la comptabilité de ses crimes. On s’étonne. Riche, primé, bientôt attendu à Hollywood, où le film du même nom, tiré de son livre, est sélectionné pour l’Oscar du meilleur film étranger après avoir reçu le Grand Prix du Festival de Cannes, il pourrait tourner la page. Ses amis - du moins ceux qui lui restent - lui conseillent d’abandonner ce combat sans fin. Lui-même pense s’installer aux Etats-Unis, mais pas tout de suite : "Je ne veux pas donner raison à ceux qui me veulent du mal", dit-il. Pour écrire quoi ? "Je veux m’intéresser à la criminalité moderne." Comme si le premier cadavre entrevu a 13 ans le poursuivait encore. "Je suis lucide et fataliste, dit-il. La guerre, la violence, c’est mon territoire. Seule la réalité m’intéresse." Fatalité ? Dans son livre, il écrit : "Aucun crime ne peut effacer le poids de l’appartenance à certains lieux qui vous marque au fer rouge."

Sa croisade, il la paie aujourd’hui d’un prix exorbitant. Dans la région de Caserte, où il traînait en Vespa à l’époque où il était libre de ses mouvements, on le prend désormais pour un traître. "Il a écrit tout cela pour se faire de l’argent", entend-on le plus souvent. A Naples, les voisins de l’appartement où il habitait avant d’entamer sa vie sous escorte se sont cotisés pour lui payer son loyer, à condition... qu’il parte au plus vite, de peur d’être victimes de représailles.

La police a fait des démarches pour lui trouver un autre logement. Peine perdue. Dès qu’un propriétaire s’avisait de l’identité de son futur locataire, les excuses fusaient : "Oh, désolé, je l’ai finalement loué il y a une demi-heure." Il fait semblant d’en rire, mais il avoue : "Il n’y a pas un jour où je me demande pourquoi j’ai écrit ce livre et si cela valait la peine."

Il pensait avoir fait une oeuvre salutaire, il découvre avec amertume l’ingratitude de ses concitoyens. Lorsqu’il se rend à Naples, les crachats constellent le pare-brise de sa voiture blindée. "On t’a finalement arrêté", lui lance-t-on quand il déambule dans les rues de sa ville avec les policiers de son escorte. "Saviano de merde", peut-on encore lire sur un mur de Casal del Principe, le fief historique des Casalesi. Il se croyait un héros, il se découvre un renégat.

La plupart des journalistes italiens spécialistes du crime organisé s’étonnent de son acharnement à le combattre. Selon eux, Saviano serait engagé dans un règlement de comptes personnel. "Ils sont jaloux, balaie-t-il d’un geste las. A 26 ans, moi, j’avais découvert et écrit ce que la plupart, au bout de trente ans de carrière, n’ont pu écrire et découvrir." Inquiétant moine-soldat pour les uns, menteur pour les autres. Saviano assume : "Je suis un bâtard : un journaliste pour les écrivains, un écrivain pour les journalistes. J’échappe à la notabilité."

Mais sa parole continue de porter. Le lendemain de la publication de sa "Lettre à Gomorra", le gouvernement italien prenait la décision d’envoyer 500 militaires jusqu’à la fin de l’année sur place en plus des policiers et des carabiniers déjà dépêchés. Saviano approuve : "Dans une phase d’urgence, c’est un signal important. Cela ouvrira peut-être les yeux de la classe politique. Mais trois mois qu’est-ce que c’est ? Ces gens-là peuvent se terrer des années." Cette guerre sera-t-elle gagnée un jour ? "La lutte contre la Camorra doit devenir européenne, explique-t-il. La France, la Finlande, l’Espagne, l’Allemagne sont touchées. Sans coordination de moyens, nous perdrons. La Mafia n’est pas seulement un problème. C’est le problème."

Est-ce encore le sien ? Il dit à présent qu’il veut partir, avoir une maison, boire des bières avec des amis, tomber amoureux et pouvoir choisir un livre dans une libraire sans risquer la mort. Briser les chaînes de Gomorra.
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