Souchon à tort: Somerset Maugham n'était pas désuet!

Le jour se levait triste et gris. Le ciel bas et l'âpreté de l'air annonçaient la neige. La nurse entra dans la chambre et tira les rideaux. Machinalement, elle jeta un coup d'œil sur la maison d'en face, une grande bâtisse de stuc, et se dirigea vers le lit de l'enfant.
- Allons, Philip, réveillez-vous.
Elle souleva les couvertures, le prit et descendit l'escalier.
Il dormait encore.
- Votre mère vous demande, ajouta-t-elle.
A l'étage inférieur, elle ouvrit une porte et déposa l'enfant sur le lit d'une malade. C'était la mère. Elle tendit les bras, et il se blottit près d'elle. Il ne demanda pas pourquoi on
l'avait réveillé. La femme l'embrassa sur les yeux et, de ses petites mains frêles, tâta le corps tiède à travers la flanelle blanche. Elle le pressa contre elle.
- Tu as sommeil, mon chéri?
La voix affaiblie semblait déjà venir de très loin. Philip ne répondit pas, mais sourit. Il se sentait heureux dans le grand lit bien chaud, entouré de ces bras si doux. Il essaya de se faire plus petit encore en se pelotonnant contre sa mère, et l'embrassa, presque assoupi. Bientôt, il ferma les yeux. Le docteur s'avança, et comme il restait debout près du lit :
-Ne me l'enlevez pas encore! Gémit-elle.
Sans répondre, le docteur la regarda d'un air grave. Comprenant qu'il fallait céder, la mère embrassa de nouveau
l'enfant et glissa la main le long du petit corps jusqu'aux orteils. Elle prit le pied droit et palpa les cinq doigts menus;
puis, lentement, passa la main sur le gauche. Un sanglot lui
échappa:
- Qu'y a-t-il, dit le docteur, vous vous sentez fatiguée?
Incapable de parler, elle secoua la tête. Ses larmes coulaient
Le docteur se pencha.
- Laissez-moi le prendre.
Trop faible pour résister, elle lâcha son fils. Le docteur le
rendit à la nurse.
-Remettez-le dans son lit.
-Très bien, docteur...


Pour moi, cette première page de roman est une des plus belle de toute la littérature Anglaise du 20ème siècle.
Elle est extrait de Servitude Humaine de Somerset Maugham.
Elle résume la qualité de son oeuvre, basée avant tout sur les relations humaines et sur l'étude des sentiments en allant toujours à l'essentiel, sans fioritures de déscriptions longues.

Certes, les déscriptions longues, de lieux, par exemple ne sont pas courantes dans ses romans (on en trouve plus dans ses nouvelles), Maugham sait insuffler un climat qui fait que lorsqu'on visite une ville décrite dans un de ses romans, on a l'impression de la connaître déjà. Ainsi pour moi, sa déscription de Florence, ville de prédilection des auteurs anglophones du 20ème siècle, est celle qui m'a semblé la plus juste lorsque j'y ai séjourné une semaine en 2001: une ville magique, hors du temps et qui mystifie la réalité et les rapports entre les êtres.

Somerset Maugham a été très prolixe au niveau de son Oeuvre puisque son premier Roman est paru en 1915 et qu'a partir de 47, il se consacra uniquement à l'écriture de Nouvelles jusqu'à sa mort, à 91 ans, en 1965.
A travers tant d'écrits, on pourrait qualifier son style d'écriture?
C'est impossible!
En effet, à chaque genre romanesque ou histoire, Somerset Maugham avait la qualité d'adapter son style pour nous imposer le climat où il veut nous transporter.
Ainsi dans Catalina, nous sommes bien à l'époque de l'inquisition et nous inquiétons du sort d'une illuminée .Dans Vacances de Noël nous pleurons avec Charley bien qu'il est difficile de s'identifier à un jeune Anglais très convenable.

Souvent, avant de lire Sac d'Os, et de comprendre la quasi dévotion de Stephen King à SomersetMaugham, je me gourmandais à les assimiler sur beaucoup de point. Certes pour moi King est un merveilleux auteur, mais bon de crier cela sur les toits en le comparant à Somerset Maugham, cela faisait tâche dans une conversation littéraire. Maintenant j'ai mes arguments.
Somerset Maugham, avant King, n'a pas un style littéraire, c'est un magicien de la phrase, un amoureux du bon et juste « mot »
Par l'abondance des thèmes abordés dans ses livres, Somerset Maugham a démontré l'étendue de sa culture d'autodidacte et de voyageur.

Non, Somerset Maugham n'était pas désuet, il était certainement , un des auteurs les plus moderne du 20 ème siècle.