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Travailleurs sociaux : Baume et blues au cœur

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Travailleurs sociaux : Baume et blues au cœur Empty Travailleurs sociaux : Baume et blues au cœur

Message par marcoo Lun 26 Sep - 14:22

Temps comprimé et surveillé, effectifs non-renouvelés, marge de manœuvre réduite, tâches administratives... discrètement, les travailleurs sociaux sont mis au pas. Les « AS » transformés en « OS », en ouvriers spécialisés des dossiers. Barrage administratif ? Tampon face aux pauvres ? Certains s'interrogent sur leur rôle.

« Lætitia, elle voulait faire de la danse. C'est payé par la Ville. Mais ses parents, eux, ils ne voyaient pas l'utilité d'une activité extra-scolaire. J'ai convaincu sa mère et depuis, la petite ne me parle que du mercredi où elle va danser. »
Vendre des portables, ça se voit. Ça se chiffre : tant de contacts à l'heure, tant d'abonnements refourgués. Idem pour la police : tant d'arrestations, tant d'emprisonnements. Là, non. C'est un travail invisible, le social, puéricultrice pour Béatrice, fait de mini-déclics, coups de pouce microscopiques et qui, néanmoins, dès les couches Pampers, peuvent infléchir un destin.

« Une maman nous fermait sa porte, elle n'a inscrit son gamin à l'école que vers ses six ans. Là, l'école a détecté des problèmes alimentaires, une hygiène lamentable, la mère qui buvait, le père qui s'était barré... On a procédé à un signalement, qui a débouché sur un placement. Au début, elle était découragée :
"C'est fini, je ne le reverrai plus.
- Mais si, on insistait, c'est une étape. On sait que vous l'aimiez bien."
On l'a suivie avec un groupe, on l'accompagnait au Foyer de l'Enfance, on organisait des sorties, des jeux, avec elle et Jérémie : "Moi, jamais on n'a joué avec moi", elle disait. Dans le cadre du RMI, elle a rénové sa maison, nettoyé de fond en comble, refait le papier-peint. Lentement, elle a repris confiance, et elle a récupéré son gamin. »
Une petite victoire pour combien de défaites ? Allan qui ne pratiquera pas le judo le mercredi, ses parents refusent, lui toujours devant la télé. Kevin, dont l'hôpital découvre, à cinq ans, qu'il ne sait pas marcher, à cause d'une malformation, quand le médecin se contentait d'un « Il faut le stimuler » et que les travailleurs sociaux se heurtaient à une porte close. Jessica, qui se lève à dix heures, déjeune d'un Kinder, ses journées qui s'écoulent devant des cassettes vidéo, et sa mère dépressive qui ne l'envoie pas à l'école : « Je ne peux pas me séparer de mes enfants. C'est ma dernière... » Déjà mal embarquées, ces destinées. Voilà pour les visites à domicile. A côté de ça, au Centre médico-social, Béatrice assure les permanences : « On reçoit beaucoup de mère isolées, inquiètes. Elles vivent seules, alors elles s'accrochent à leur bébé, qui ne voit qu'elles. Mon rôle, c'est de les rassurer, elles, et de sociabiliser un peu leur bambin. Qu'ils ne vivent pas l'école, ensuite, la rencontre avec les autres, comme un traumatisme. » En rabe, elle doit encore adresser des courriers pour les visites, procéder à l'agrément des assistantes maternelles, les conseiller, s'occuper du dépistage à la maternelle, plus la paperasserie.
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Message par marcoo Lun 26 Sep - 14:22

suite :



Malgré ces tâches nombreuses, l'on assiste à des coupes franches dans les effectifs : « Sur notre circonscription, une puér est partie à l'hôpital, son emploi n'est pas compensé. Une autre suit une formation, un mi-temps à Paris, ils ne l'ont remplacée que maintenant, deux ans plus tard. Et les 35 h, ça s'est négocié sans embauche. » D'autres secteurs, notamment Saint-Maurice / Longueau / Rivery, sont piètrement lotis : une puéricultrice et demie pour toute cette zone ! Et l'hémorragie entraîne l'hémorragie : vu la désorganisation, une salariée a pris sa retraite prématurée. Et une seconde, condamnée à jouer les bouche-trous, s'est déclarée à mi-temps : « C'est avec Gest [Alain Gest, député UMP de la Somme, ndr] que la baisse a commencé, il nous affirmait : "On manque de candidats", alors que des relations à moi postulaient. »

Un monde à l'envers
Cette compression du personnel induit, bien sûr, une pression du temps : « Pour les signalements, avant, on passait à deux avec une AS, nous pour l'enfant, elle pour la situation financière, l'environnement. Maintenant, on nous dit : "Allez-y seuls, parlez-en à votre collègue." » Chantal, assistante sociale, confirme : « C'est le monde à l'envers ! On nous reproche de passer trop de temps avec les gens ! A l'époque, sur Amiens-Nord, on sortait, on ne représentait pas la même chose. Maintenant, les visites spontanées, on n'en fait plus. Moins sur le terrain, on reste beaucoup plus au bureau. »
Quand des mandats ne sont pas, carrément, sabrés : « J'ai abandonné le suivi des assistantes maternelles, témoigne Béatrice. Elles me téléphonent, parfois : "Bah alors ? On ne vous voit plus, vous êtes fâchée ?" Mais j'ai préféré squizzer ça, d'autres puérs ont lâché le dépistage. Une directrice d'école a protesté, d'ailleurs, comme quoi, cette année, personne n'avait procédé aux tests audio-visuels... »
Le but de ces interventions ? Vérifier, vers trois ans, que les mioches ne souffrent ni de surdité, ni de dyslexie, ni de daltonisme, ni de difficultés psychomotrices : « Ces bilans mettent en évidence qu'un enfant sur dix présente des troubles visuels, un sur quinze souffre de troubles bucco-dentaires ou d'obésité, un sur vingt de troubles auditifs ou de langage » (courrier du Syndicat national de Protection Maternelle Infantile, adressé aux Conseillers généraux, le 4 décembre 2004). Bien que fondamentale, cette action régresse : « Plus de 90% des enfants ont été vus en bilan de santé au cours de l'année 2000-2001, moins de 70% en 2003-2004. » Belle régression : des myopies, par exemple, seront découvertes plus tard, trop tard, une fois les premières années de scolarité compromises...

Course au rendement
Cette inquiétude taraude Béatrice : la qualité de son service s'est dégradée. Juste un peu, pour l'instant, mais déjà un peu. Il faut venir chez les familles, dans sa profession, revenir, prendre un café, instaurer une confiance, dans le calme, bien loin de la course au rendement. Au lieu de cela, « les chefs nous ont demandé nos chiffres. Ils ne se fondent que sur du quantitatif... ».
Le temps. Gagner du temps. Economiser du temps. Car c'est de l'argent. Cette obsession a trouvé son incarnation, honnie, imposée par Alain Gest : la pointeuse. « Ça rend les gens fonctionnaires : au départ, tu ne pouvais pas déclarer avant 8 h, finalement, c'est 7h45. A 17 h 30, maintenant, tout le monde se tire » (Béatrice). En traitant les agents comme des OS, on tue leur dévouement : « Il faut faire 7 h 48 par jour, 3 h 54 par demie-journée, calcule Isabelle, conseillère en économie sociale et familiale. Si l'on arrive à 14 h 02, la machine indique "anomalie bloquante". Alors qu'avant, un dossier de surendettement, avec des gens qui travaillent, on le montait entre midi et deux. Maintenant, la pause est obligatoire. » Tous les matins, les chefs valident les pointages et adressent un compte-rendu au siège : « Aujourd'hui, on se concentre plus sur la gestion du temps, comme ils appellent, que celle de l'équipe : les anomalies de la pointeuse, les congés, le planning, les RTT... j'ai le sentiment qu'on ne parle que de ça. » Et cette logique fonctionnaliste évacue les questions de fond : quel est le sens de leur travail ? Comment l'améliorer ? Qui a-t-on rencontré ? Quelles démarches mettre en place ?

Copies relues et corrigées
Cette pointeuse, et ces décomptes horaires, le concrétisent : en douceur, mais les agents sociaux sont mis au pas. D'eux, auparavant, on attendait un engagement discret, un chouia subversif, écho d'une Somme d'en bas. Les voilà transformés en employés comme les autres, dont la marge de manœuvre se rétrécit.
A cause d'une surveillance hiérarchique, d'abord : « Les dossiers, les aides financières, on remplissait tout, avant, et c'était envoyé en commission. Maintenant, c'est revu par le chef de service, qui corrige les copies, nous demande parfois une nouvelle mouture. Qu'on n'exprime pas les choses trop crûment » (Chantal). « Avant, la confiance régnait. On avait vu les justificatifs, ça suffisait. Désormais, il faut fournir des photocopies de tout » (Isabelle). A cause d'un contrôle politique, aussi : « Avant Gest, pour les aides financières, le directeur s'en chargeait, il signait les accords ou rejetait. Depuis, même pour une petite enveloppe, c'est le politique qui décide. Donc ça retarde énormément les mesures d'urgence, les gens se tournent plutôt vers le Secours populaire. » Et même les montants fondent : « Pour qu'ils donnent cent balles, il faut grossir le trait, faire pleurer dans les chaumières. Avant, on demandait des allocations mensuelles pour six mois, et des grosses sommes. Aujourd'hui, quand on obtient 100€ pour un enfant sur un mois, on est vachement contents. »
A cause d'une intransigeance administrative, enfin : « Un monsieur, EDF lui avait coupé le courant, à cause d'une dette de 450€. Je suis intervenue, mais comme il dépasse le plafond de 500€ mensuels (il perçoit 750€) eh bien nous n'avons pas pu instruire le dossier. Avant, on contactait un gars de là-bas, on négociait, on établissait une demande d'aide à l'énergie, mais ces arrangements, c'est fini. »

Moins de cartes en main
Entre leurs mains, ces travailleuses sociales ne détiennent plus guère de cartes. Pour l'électricité, c'est râpé, privatisation rampante d'EDF oblige. Pour l'aide éducative, « c'est un an d'attente minimum. Ça, personne n'en a plus rien à foutre. » Pour le logement, de même : « Le déménagement social, ça ne se fait plus. Auparavant, on se réunissait avec les conseillères de l'OPAC : "que fait-on pour telle famille ?", on rencontrait la commission des impayés, le partenariat était réel. Daniel Dubois a supprimé tout ça : désormais, on ne peut rien faire, on se heurte à un mur. Je suis un couple avec trois enfants, en studio dans le privé, même pas endettés. Malgré notre appui, ils attendent depuis trois ans. Donc nous, on est complètement discrédités. »

Pour le surendettement, « le Conseil général ne nous autorise pas, avec la loi Borloo, à accompagner les familles dans la faillite civile. Donc, lorsque Madame Durand est convoquée par le juge, même si elle me réclame, comme soutien moral, parce que ça n'est pas une criminelle, parce que le tribunal l'impressionne, parce que je pourrais témoigner, expliquer sa situation, je n'ai pas le droit. Comment instaurer une proximité, après ça ? »
A l'inverse, sont recommandées des opérations de com', avec la bouche en cœur comme outil et la seule parole comme thérapie : « Pour les inondations, on a fait des permanences. C'était la consigne. Mais pour dire quoi ? Rien. On ne disposait de rien. Là, pour Noël, EDF a établi un listing des gens coupés, ils l'ont transmis à la direction et nous, on nous a adressé une note : "Les recevoir pour discuter de leur situation." D'accord. On va les recevoir. On va discuter. Mais pour les informer de quoi ? "On ne peut rien faire pour vous." C'est notre quotidien, parfois : on accueille les gens, on sourit, aimablement, mais ils repartent sans solution. Donc, on reçoit de moins en moins de gens... »

Le poids d'une plume
Qu'on y ajoute le sentiment de peser bien peu, à peine le poids d'une plume, contre le plomb des Finaref et Cetelem qui invitent à l'endettement, contre une économie qui précarise les sans qualification, contre un marché du logement étranglé qui exclut les sans revenu, contre une misère culturelle médiatiquement organisée, et surgissent vite, dès lors, des interrogations sur leur utilité : « A quoi on sert ? de barrage ? de tampon ? d'alibi ? On oriente vers le caritatif privé ? On devient un rouage qui remplit des dossiers, en plein dans le contrôle social ? » Leur travail ne les satisfait plus, qui s'écarte de leur aspiration initiale : avancer, dans la durée, aux côtés des familles, soulager le fardeau des ennuis, éclaircir l'avenir des enfants, etc. Ces missions ne sont pas éclipsées, non, pas entièrement, mais elles se dissipent lentement.
Contre ce désarroi qui pointe, le « Projet Social Départemental » ne résout rien, vise à côté. Il n'affirme, en son cœur, aucune vision, aucune espérance, se contente de rajouter un échelon hiérarchique et de procéder, parmi les cadres, à un jeu de chaises musicales. Quant à la « Protection Maternelle Infantile », elle a disparu des organigrammes, et les puéricultrices, jusqu'alors sous l'autorité des médecins, leurs pairs soignants, seront désormais placées dans un autre « pôle », directement sous la coupe des « responsables de territoire ». Eux dont est exigée « la connaissance des méthodes de management ». L'essentiel est sauf...

Martha Valentina et François Ruffin
Fakir n°23 (février/avril 2005)
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