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Le débat sur l’« insécurité » en France

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Le débat sur l’« insécurité » en France Empty Le débat sur l’« insécurité » en France

Message par marcoo Mer 6 Juil - 14:28

Des discours fondés sur la peur et la fabrication d’un bouc émissaire

Revenu au tout premier plan de l’actualité politico-médiatique dans les années 1990 (au détriment des questions économiques et sociales, notamment de la question de l’emploi), le débat sur « l’insécurité » est d’un niveau de connaissance dramatiquement faible. Il est possible que ce décalage ne soit pas pour rien dans les résultats de la récente élection présidentielle (avril-mai 2002) caractérisés par la présence de l’extrême droite au second tour. Lorsque l’on focalise l’attention sur des faits présentés comme des « menaces » en pleine « explosion », sans en donner véritablement les clefs d’analyse, on ne peut qu’exacerber les peurs, laisser les gens désemparés et faciliter le travail de ceux dont la peur est le fonds de commerce. La question que doivent donc se poser ceux qui ont aujourd’hui des questions voire des regrets n’est pas seulement : « En avons-nous trop parlé ? » mais autant, sinon plus : « Comment en avons-nous parlé ? Avons-nous permis de comprendre ? Avons-nous aidé à trouver des solutions ? » Or la réponse est fondamentalement négative.

Au fil des ans, la rhétorique électorale des hommes politiques a enfermé le débat dans des slogans et dans des choix manichéens (à commencer par le fait d’être rangé dans le camp des « démagogues » ou dans celui des « angélistes », selon le bord politique où l’on se situe). Par ailleurs, un certain nombre de pseudo-experts (en réalité des marchands de sécurité privée, des représentants de syndicats de police, des journalistes très politisés), bien implantés dans les médias, ont réussi à faire passer pour des vérités « scientifiques » un certain nombre d’affirmations et de catégories d’analyse comme celles-ci : les statistiques indiqueraient une « explosion de la délinquance des mineurs », les délinquants seraient « de plus en plus jeunes et de plus en plus violents », ils n’auraient « aucun repère » et seraient « totalement désocialisés », l’école serait « envahie » voire « submergée » par « la violence », les parents auraient « démissionné », la police serait « désemparée » et la justice, « laxiste », enfin il faudrait admettre que les immigrés (entendez les Arabes et les Noirs) sont surreprésentés parmi les délinquants, preuve que « l’intégration ne fonctionne plus » et que, « la prévention, ça ne marche pas ». Au bout du compte ces nouveaux tenants du sécuritarisme concluent que « les anciennes méthodes ont échoué » et qu’« il faut désormais réagir d’une autre façon ». Ils ont discrédité l’idée même de prévention et désigné l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs comme le mur légal à abattre[1].

Cette nouvelle façon de considérer les problèmes constitue, on le voit, une véritable vision du monde, dans laquelle les arguments s’imbriquent et se suivent logiquement. C’est une véritable mode idéologique qui emporte pratiquement tout le monde depuis quelques années. Et c’est aussi un véritable « prêt-à-penser » en ce que cela devient une façon d’analyser les choses qui fonctionne en permanence, qui permet de donner du sens à tout ce qui se produit, d’avoir l’impression de comprendre même lorsqu’on ne sait pratiquement rien. C’est donc à la fois rassurant et économique. C’est très logiquement que les médias ont pleinement assimilé ce prêt-à-penser qui s’accorde avec le catastrophisme, le sensationnalisme et le traitement superficiel des problèmes, toutes choses qui sont pour eux, non pas des effets pervers, mais des principes même de fonctionnement. Au cours des dernières campagnes électorales (municipales en 2001, présidentielle en 2002), dans un flot ininterrompu, nombre de faits divers (souvent largement déformés par leur traitement médiatique afin de mieux « coller » à l’image souhaitée[2]) ont été érigés en symboles, en événements révélateurs du fait que chaque jour serait forcément pire que la veille et que des degrés de violence toujours plus élevés se manifesteraient au fil du temps.

La caution des chiffres et la défense des victimes

La caution des chiffres nourrit les discours les plus catastrophistes depuis des années. La « violence urbaine » est censée « exploser » depuis les années 1993-1994, sans que personne prenne la peine d’essayer de comprendre pourquoi les statistiques de la police indiquent en effet un changement subit à partir de ce moment précis. Quel changement astral aurait affecté subitement la population ? Pourquoi les adolescents ayant par exemple 16 ans en 1994 se comporteraient-ils soudainement de façon différente de ceux qui avaient le même âge deux ans plus tôt ? Mystère… Le fait qu’il y ait eu des changements importants dans le Code pénal ainsi que des élections nationales précisément à ce moment-là ne semble avoir interpellé personne… En 2001, ce sont les statistiques de la gendarmerie qui indiquaient subitement des hausses faramineuses. À nouveau, que s’est-il donc passé ? Mystère… Le discours catastrophiste avait, lui, son explication : après avoir saturé nos villes, le mal infesterait nos campagnes, la contagion se répandrait partout[3]. Preuve que plus personne n’est à l’abri. On comprend peut-être alors pourquoi, jusqu’au fond des campagnes, on déclarera désormais aux sondeurs d’opinion que l’on est très préoccupé par « l’insécurité »[4].

Tous ces acteurs qui ont entonné en chœur le refrain de l’insécurité se sont justifiés en prenant à témoin le fameux « sentiment d’insécurité » croissant des Français. Or, s’il correspond bien à des peurs personnelles directes pour une petite partie d’entre eux, ce sentiment renvoie chez la plupart à tout autre chose qu’au risque d’être victime, soi ou ses proches, d’un acte de délinquance. Il renvoie à une opinion générale, une préoccupation collective, qui s’articule chez la plupart à des rigidités mentales (xénophobie, punitivité), mais qui se nourrit aussi d’inquiétudes plus générales et plus partagées sur l’évolution du monde moderne.

Enfin, le discours sur la protection des victimes est devenu la caution morale des politiques de sécurité. Or, si la protection des victimes constitue bien un enjeu de société important, et si cet enjeu progresse heureusement dans beaucoup de dispositifs partenariaux locaux, il n’est pas difficile de constater qu’il est loin d’être le véritable levier des très nombreuses mesures de sécurité votées par le Parlement ces dernières années (qu’il s’agisse de la loi sur la sécurité quotidienne votée par la gauche en 2001 ou de la loi de programmation et d’orientation sur la sécurité votée par la droite en 2002). Tout se passe comme si l’augmentation continue des pouvoirs de police était conçue comme entraînant automatiquement une réduction des risques pour les victimes. C’est un des fondements de l’idéologie de la « tolérance zéro ». Or l’équation est loin d’être démontrée pour ce qui ne se produit pas sur la voie publique, notamment pour des problèmes concernant aussi massivement la population que les vols, les cambriolages, les bagarres entre jeunes et les violences au sein de la famille.

Ainsi, en faisant de la délinquance des jeunes le catalyseur de toutes ces peurs, et en la présentant elle-même comme un phénomène incompréhensible et un danger se répandant comme une tache d’huile, l’on a surtout fabriqué un bouc émissaire et un exutoire à toutes nos peurs et à toutes nos rancœurs. En effet, s’il est incontestable (et logique vu l’évolution de nos sociétés) que le volume global de certains actes de délinquance a augmenté, il n’est pas exact que la nature de ces délinquances est véritablement nouvelle dans la société française actuelle et que toutes ces formes connaissent une aggravation continue. Ensuite, le chercheur est nécessairement amené à souligner le danger que constitue l’usage de catégories globales comme « la délinquance » ou « la violence », au sein desquelles sont amalgamés des comportements qui n’ont rien à voir, ces amalgames servant clairement à alimenter le catastrophisme ambiant. Enfin, il est assez désespérant de constater que ni les hommes politiques ni ces pseudo-experts médiatiques ne disposent d’une analyse des causes (économiques, sociales, politiques) de l’évolution de la délinquance et donc ne proposent des remèdes aptes à transformer réellement les données du problème. Pire : le discours dominant tente de culpabiliser en permanence ses opposants, prétendant notamment que la recherche des causes devrait être bannie, car elle ne peut que « donner des excuses » aux délinquants. Faudrait-il donc verser dans la pure et simple moralisation, cesser de réfléchir et se contenter de punir et d’enfermer au nom de l’ordre ? Essayons plutôt d’y voir un peu plus clair.






Pour citer cet article : Laurent Mucchielli, « Le débat sur l’« insécurité » en France, progrès ou régression de la citoyenneté ? », Erytheis, 1, mai 2005,
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Message par marcoo Mer 6 Juil - 14:29

suite....

L’évolution des délinquances et des risques de victimation en France

Tandis que le débat politico-médiatique se centre sur « la violence », l’interrogation de la vie quotidienne de nos concitoyens renvoie une image beaucoup plus nuancée, parfois carrément différente. Du point de vue quantitatif, ce dont souffrent le plus nos concitoyens dans leur vie quotidienne, ce ne sont pas des violences physiques. Depuis plus de trente ans, le cœur de la délinquance est constitué d’abord par les vols et les cambriolages. De la voiture (ou radio-cassette dans la voiture) au téléphone portable, en passant par le matériel hi-fi et les vêtements de marque, cette délinquance suit l’évolution de la société de consommation. Une partie de la jeunesse des quartiers pauvres s’approprie par des moyens illégitimes ce qu’elle ne peut obtenir par des moyens légitimes. Le schéma est classique. Et la tendance actuelle d’évolution de la société française ne peut que renforcer le poids de ce schéma puisque, tandis que la société s’enrichit globalement et que la société de consommation domine toujours davantage notre vie quotidienne et nos aspirations, les inégalités économiques et sociales ne se réduisent pas et même s’accroissent sur certains plans essentiels (logement, éducation, santé, etc.). Cette délinquance est donc bien réelle ; parlons-en, mais acceptons aussi d’en analyser les causes.

Abordons à présent la question de la violence interpersonnelle. Mais demandons-nous d’emblée si le mot de « violence » signifie encore quelque chose lorsqu’on constate qu’on y range aussi bien les insultes, voire les simples « regards inquiétants », que les viols et les meurtres ? C’est là la source de confusions et d’amalgames. Si l’on veut parler de choses réelles, il faut opérer des distinctions entre au moins trois types de comportements très différents : les violences physiques graves, les violences physiques moins graves et les violences sexuelles. Pour commencer, est-ce que l’augmentation des violences sexuelles dans les statistiques n’est pas la conséquence de l’évolution de nos sensibilités ? Autrement dit, est-ce que cette augmentation apparente traduit l’intensification des comportements, ou bien le fait que ces comportements jadis dissimulés sont aujourd’hui beaucoup plus aisément dénoncés par les victimes ? Le cas de la pédophilie indique assez clairement la réponse : la chose n’est pas nouvelle ; ce qui est nouveau, c’est la dénonciation. Et le même raisonnement vaut au moins en partie pour les viols. Parlons à présent d’un deuxième genre de violence, la plus grave, celle qui conduit à la mort ou presque. Quelle surprise nous attend alors, puisque l’on constate que le meurtre et sa tentative non seulement n’augmentent pas mais baissent depuis quelques années. De fait, les taux de meurtres et de tentatives de meurtres sont aujourd’hui au même niveau qu’à la fin des années 1970. Alors où se situe l’augmentation des comportements violents ? Dans ce que les statistiques de police appellent les « coups et blessures volontaires », ceux qui n’ont pas entraîné la mort ni des blessures très graves. Et de quoi s’agit-il ? Soyons concret : il s’agit de bagarres (dont certaines liées au racket). Ces bagarres peuvent être plus ou moins graves, impliquer un nombre très variable d’individus. Mais ce qu’il faut surtout savoir, c’est que les principales victimes de ces violences sont les jeunes eux-mêmes (essentiellement les jeunes hommes). Le constat vaut du reste également à l’école. L’image médiatique qui fait peur est celle de l’enseignant agressé. Le fait est en réalité rarissime. Les victimes, ce sont essentiellement les élèves.

Décrire les grandes évolutions, après les vols et les violences interpersonnelles, amène à évoquer à présent ce que l’on peut appeler des violences contre les institutions : destructions d’Abribus, bris de vitres et de fenêtres, dégradations de matériel, caillassages de voitures de police (et parfois aussi de pompiers), incendies de locaux, menaces et insultes envers diverses catégories de fonctionnaires, et puis parfois émeutes, batailles rangées avec la police. Voilà un ensemble de phénomènes qui sont clairement en augmentation dans la société française depuis la fin des années 1980 et qui, du fait de leur cible publique, ont une très forte visibilité. Nous voilà au cœur du malaise social actuel : les institutions publiques sont parfois confrontées à l’expression rageuse de la révolte des jeunes des quartiers populaires. Et cette révolte n’est pas un mystère. Il n’est que de discuter avec eux et écouter par exemple les paroles des chansons de rap pour comprendre la façon dont ces jeunes voient le monde : ils pensent être victimes d’un complot, ourdi par le reste de la société pour les enfermer dans leur misère. Selon eux, la société est injuste et raciste, la police et la justice sont les garantes de cet ordre social, les élites politiques sont totalement corrompues et profitent du système par cynisme. En somme, dans ces fameux « quartiers sensibles », sont en présence deux catégories d’acteurs qui produisent une théorie du complot réciproque : une partie de la jeunesse se considère victime du complot du reste de la société française et elle fait face à des policiers qui s’imaginent souvent qu’ils ont affaire à des jeunes délinquants en voie d’organisation « mafieuse » par la voie du trafic de drogues (et par ailleurs, au prix d’une nouvelle confusion, en voie d’islamisation radicale). La réalité fournit certes à l’occasion des arguments aux uns et aux autres. Il s’agit pourtant de deux perceptions caricaturales de la réalité. De grands réseaux de trafic de drogues existent dans certaines banlieues, mais tous les quartiers populaires un peu « chauds » ne sont pas tenus par eux, loin s’en faut. Encore une fois, cette façon de présenter la réalité ne peut que construire une peur panique et masquer les raisons profondes de la révolte de ces jeunes et de leur décision de s’engager à un moment donné dans la voie de l’économie illégale.

Last but not least, à lire les recherches qui se multiplient, à parcourir les villes de France à l’occasion de débats, à discuter avec des habitants, avec des fonctionnaires et des élus locaux, un constat apparaît peu à peu comme une évidence : loin des délinquances qui s’organisent parfois dans quelques quartiers dits « très sensibles », ce qui inquiète et parfois exaspère le plus une partie de nos concitoyens, c’est autre chose : c’est ce que l’on appelle aujourd’hui les « incivilités ». Certes, voici encore une notion fourre-tout aux contours incertains (des infractions pénales mais aussi des impolitesses, des atteintes à la civilité). Cependant, dans la réalité quotidienne, elle semble renvoyer à des actes qui sont généralement commis par les mêmes personnes et qui font souvent les mêmes victimes. De quoi s’agit-il ? Dans certains quartiers HLM, les habitants se plaignent souvent de jeunes qui par exemple font beaucoup de bruit le soir et en début de nuit (bruits de mobylettes ou voitures, sonos à plein volume, pétards), dégradent certains équipements collectifs (boîtes aux lettres et poubelles défoncées, tags), fument des joints dans les halls d’immeuble, laissent traîner des détritus, parfois urinent ici ou là, leur jettent des regards qu’ils considèrent comme agressifs, parfois crachent et insultent, plus souvent occupent l’espace public extérieur ou intérieur (halls, caves) d’une façon qui est perçue plus ou moins confusément comme menaçante. La place manque pour analyser les causes et le déroulement de ces phénomènes précis. Signalons cependant ce problème : face à ces incivilités (qui, pour certaines, relèvent des désordres classiques des adolescents et ne sont absolument pas nouvelles), les habitants se sentent souvent impuissants, seuls et non soutenus par les pouvoirs publics. Voici un terreau pour le sentiment d’insécurité et pour le « vote protestataire ».

Rechercher un nouveau consensus sur ce qui fonde la citoyenneté pour mieux vivre ensemble

La plupart des instruments de durcissement de la répression qui ont été mis en place ces dernières années visent exclusivement la délinquance des jeunes des quartiers populaires : multiplication des nouvelles incriminations dans le Code pénal (jusqu’à la pénalisation de la simple occupation de hall d’immeuble) et aggravation des sanctions en matière de vol, d’agression, de dégradation (les tags), abaissement des seuils d’âge pénal (jusqu’à la création de nouvelles sanctions à partir de l’âge de 10 ans), augmentation des effectifs de police, création d’unités policières spécialisées dans la lutte contre les « violences urbaines » (comme les brigades anti-criminalité, dont les membres sont surnommés « les cow-boys » au sein même de la police, pour souligner leur style violent d’intervention), accélération des procédures judiciaires (traitement en temps réel, comparution immédiate), mise en place des groupes locaux de traitement de la délinquance et des maisons de justice où officient des « délégués du procureur de la République » qui peuvent prononcer des peines mineures sans que l’accusé bénéficie d’un avocat et d’un procès contradictoire. Les conséquences du déploiement d’un tel arsenal policier et pénal sont patentes. Le nombre de personnes mises en cause par la police ne cesse d’augmenter, le nombre de sanctions prononcées par la justice fait de même et la population pénale ne cesse de franchir des seuils quantitatifs que l’on croyait inaccessibles[5]. Le gouvernement actuel multiplie aussi les formes de rétention, notamment au travers des nouveaux « centres éducatifs fermés » destinés aux mineurs ayant commis des délits de façon répétée.

Ainsi, effrayée par une délinquance dont elle refuse de comprendre les raisons d’être, la France s’est engagée dans une politique d’exclusion, fondée sur l’idée simple et ancienne selon laquelle, dans une société, on peut dire qu’il y a d’un côté les délinquants et de l’autre les honnêtes gens, et qu’il est du devoir des gouvernements de protéger les seconds des premiers. Cette façon d’opposer les bons et les mauvais citoyens est pourtant à la fois simpliste et injuste puisqu’elle conduit à stigmatiser toujours plus certaines catégories de citoyens (au premier rang desquels les personnes issues de l’immigration africaine). Derrière l’évolution des différentes formes de délinquance se cachent des évolutions économiques, sociales, morales et politiques profondes. On ne changera donc pas fondamentalement les données du problème par des réformes touchant simplement au fonctionnement de la police et de la justice et par une incarcération massive. Si l’on veut vraiment préparer à nos enfants une société moins violente, il faut agir sur les causes nombreuses et profondes de la délinquance, qui sont et demeurent les mêmes, faute de véritable mobilisation nationale : les conflits et les violences dans les familles, le processus de « ghettoïsation » dans tous ses aspects (aussi bien matériel que symbolique, touchant au niveau de vie, à la composition démographique, au fonctionnement des institutions : école, services sociaux, police, etc.), le vide politique des quartiers populaires, l’absence d’encadrement de la jeunesse et de valorisation de ses ressources culturelles, les inégalités et les exclusions scolaires, la dévalorisation symbolique et monétaire du travail manuel, le chômage des jeunes peu ou pas diplômés, les dysfonctionnements institutionnels qui rendent parfois inefficaces voire contre-productives les actions de la police et de la justice, la disparition des grandes espérances collectives et la perte de confiance dans ceux qui nous gouvernent… Il faudrait pour cela que les hommes politiques sortent de la démagogie électorale et de la gestion institutionnelle d’urgence pour prendre le temps de susciter dans tout le pays et à tous les échelons la réflexion et le dialogue pour qu’émergent de nouveaux consensus dans les valeurs et dans les pratiques. La délinquance juvénile est un symptôme du malaise de notre société. Traiter le symptôme ne résoudra pas fondamentalement le problème, a fortiori dans un climat de panique qui empêche de faire un bon diagnostic. C’est d’un nouveau consensus sur les valeurs qui fondent la citoyenneté, en termes de devoirs mais aussi et d’abord en termes de droits, que notre société a besoin si elle veut limiter le plus possible la régulation libérale de la vie économique et sociale, et ses conséquences de plus en plus massives en termes d’exclusion.
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Message par marcoo Mer 6 Juil - 14:30

fin

Bibliographie

Duprez D., Mucchielli L. (dir.), 2001, Déviance et société, XXV (4), Genève, Éditions Médecine et Hygiène.

Mucchielli L., 2002, Violences et insécurité : fantasmes et réalités dans le débat français, Paris, La Découverte, 2e éd.

—, 2002, Crime et sécurité : l’état des savoirs, Paris, La Découverte.


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Notes

[1] L’ordonnance de 1945 est le texte de référence de la justice des mineurs en France, qui pose comme principe général que les sanctions à l’égard des mineurs délinquants doivent avoir une finalité éducative (réintégrer l’enfant dans la communauté). Il s’agit donc d’une avancée démocratique considérable à l’échelle historique, en ce qu’elle place bien les enfants – fussent-ils auteurs d’actes de délinquance – au sein de la communauté des citoyens.

[2] Deux exemples de cette déformation de la réalité qui n’est apparue comme telle que plusieurs semaines ou plusieurs mois après son traitement médiatique. À l’avant-veille du premier tour de l’élection présidentielle, à Orléans, un vieil homme pauvre est maltraité par des inconnus qui mettent ensuite le feu à sa maison. L’homme est très vieux, seul, sans défense et sans argent, c’est le symbole absolu de la Victime. On apprendra des mois après qu’il semblait en réalité connu pour une affaire d’agression sexuelle sur enfant dans son quartier. Par ailleurs, lors même que l’on ne connaissait pas (et que l’on ne connaît toujours pas à ce jour) l’identité des auteurs de l’agression de cette personne âgée, plusieurs journalistes parleront immédiatement (par une sorte d’automatisme de pensée) de « jeunes du quartier » (s’agissant d’un quartier à fort pourcentage de population d’origine étrangère). Un peu plus tard, à Pantin, en proche banlieue parisienne, des policiers sont agressés par un groupe de jeunes hommes, et une femme policière est sérieusement blessée. Les médias relayeront la version policière qui parlera d’un « traquenard » tendu délibérément et sans raison aux policiers. Des mois plus tard, après enquête et audition de nombreux témoins, on comprendra qu’il s’agit probablement d’un conflit au départ banal et spontané, survenant au cours d’un contrôle d’identité, et que ce sont les policiers qui ont fait monter la pression jusqu’à l’éclatement de la violence. D’innombrables autres exemples pourraient être donnés, qui rappellent à tout le moins que la violence n’est pas une sorte de pulsion immotivée ressentie par quelques individus anormaux, qu’elle est le résultat d’une situation mettant aux prises plusieurs acteurs et que c’est dans cette interaction qu’il faut chercher les motivations du comportement des uns et des autres.

[3] C’est bien cette métaphore médicale qui a fonctionné, comme si la peur de la délinquance fonctionnait un peu comme jadis la peur de la peste.

[4] Stable depuis la fin des années 1970 jusqu’à la fin des années 1990, la préoccupation pour la sécurité s’est soudainement envolée dans les sondages à l’approche des échéances électorales.

[5] Au 1er juillet 2003, les prisons françaises comptent 60 963 détenus, contre 56 916 au 1er juillet 2002 et 49 718 au 1er juillet 2001. Après une courte période de baisse, entre 1996 et 2000, on peut donc parler d’une nouvelle inflation carcérale. Ajoutons que, pour faire face au surpeuplement (chronique mais d’autant plus aigu en ce moment) dans les prisons, le gouvernement actuel a nommé un secrétaire d’État chargé de construire de nouvelles prisons. Précisons aussi que ce secrétaire d’État envisage la création de huit prisons destinées uniquement aux mineurs.
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