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Disparition d'un juste

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Message par Francois Sam 10 Juin - 22:18

André Mandouze est mort à Porto-Vecchio (Corse-du-Sud), lundi soir 5 juin, à quelques jours de ses 90 ans.

André Mandouze avait eu le bon goût de publier ses Mémoires d'outre-siècle. Comme s'il avait voulu ne laisser à personne d'autre que lui le soin d'écrire le dernier mot de sa vie d'éternel résistant, d'universitaire enragé, de journaliste torrentueux, de catholique tempétueux, militant sur toutes les lignes de front : l'antifascisme, l'anticolonialisme, l'Algérie indépendante, la gauche socialiste de François Mitterrand, l'Eglise réformatrice de Vatican II.

A gauche toute, bon Dieu ! : le titre de ce deuxième tome de Mémoires (1962-1981), paru au Cerf en 2003, résume l'oeuvre et l'homme. Ce latiniste policé, "mandarin" de Sorbonne, fut aussi un provocateur impénitent, un tempérament de feu, un saint homme de fidélité et de passion, un prophète râleur et bougon. Grand amoureux de saint Augustin (354-430), il était, comme l'évêque d'Hippone (Anaba en Algérie), de la race des polémistes, et ses emportements lui valurent autant d'amis que d'ennemis.

Né à Bordeaux le 10 juin 1916, le jeune André Mandouze entre en résistance dès les années 1930 - contre le franquisme, contre l'Action française - grâce à un jésuite, Antoine Dieuzayde, son "vieux zèbre", comme il l'appelait, aumônier à la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC). A l'Ecole normale supérieure, dont il sortira agrégé de lettres en 1937, il s'impose comme le "prince des talas" (ceux qui vont-à-la messe) de gauche. Sous l'Occupation, professeur de lettres à Bourg-en-Bresse (Ain), il est arrêté pour avoir fomenté avec ses élèves une manifestation contre un cinéma qui projetait Le Juif Süss, film de propagande antisémite.

Il entre dans la clandestinité, noue des réseaux d'amitié judéo-chrétienne, se lie à des figures de la résistance spirituelle au nazisme comme le dominicain Jean-Augustin Maydieu, l'un des fondateurs de l'hebdomadaire chrétien Sept (interdit en 1937 par le Vatican), ou le jésuite Pierre Chaillet, avec qui il lance en 1942 les Cahiers du Témoignage chrétien, dont il sera le premier rédacteur en chef. Pour lui, résistance spirituelle et résistance armée ne font qu'un. "Le spirituel couche dans le lit du temporel", aimait-il dire.

Le Témoignage chrétien des temps de paix ne répond plus à ses rêves de France régénérée. Il claque la porte et s'envole, en janvier 1946, pour Alger, où il devient professeur à l'université. De l'Algérie, il ne sait qu'une chose : elle est la terre natale de saint Augustin, berbère par sa mère Monique, le "Docteur de la grâce" à qui il consacrera sa thèse en Sorbonne en... juin 68 ! Mais il épouse la cause nationaliste, lance en 1953 une revue appelée Conscience algérienne, vite qualifiée de séditieuse. André Mandouze est le premier universitaire à militer pour l'indépendance de l'Algérie. On l'appelle "Mandouze-fellouze". Il est proche du cardinal Duval, archevêque d'Alger, que l'OAS appelle "Mohamed ben Duval" et sert même d'intermédiaire entre Pierre Mendès France et le FLN.

En 1956, sous Guy Mollet, il doit fuir l'Algérie, est enfermé trois jours à la prison de la Santé. Mais, avec d'autres intellectuels catholiques comme François Mauriac, Louis Massignon, Henri Guillemin, Henri-Irénée Marrou (son maître en augustinisme), Pierre-Henri Simon, il continue de dire sa rage contre la torture, dans Le Monde, à France-Observateur, à Témoignage chrétien. Combat de sa vie. En 1981, il sera le patron d'une thèse sur "la torture et les consciences chrétiennes en Algérie", écrite par Alain de la Morandais.

"PIED-ROUGE"

On ne quitte pas facilement la terre algéroise. En 1963, à la demande d'Ahmed Ben Bella, André Mandouze entreprend de réorganiser l'université du jeune pays indépendant, mais sa carrière de "pied-rouge" - comme on qualifiait les progressistes -, tourne court avec l'arrivée au pouvoir du colonel Houari Boumediène. André Mandouze redevient professeur à l'université d'Alger, avant de rentrer à Paris pour régner, de longues années, comme latiniste sur la Sorbonne.

Il retournera en Algérie en avril 2001 pour présider, cette fois avec le président Bouteflika, un colloque sur saint Augustin, qui, pour lui, symbolise le lien entre africanité et universalité. Saint Augustin qu'il fait aussi découvrir en 2003 à... Gérard Depardieu ("mon dernier élève"), qui, enflammé par les Confessions, les lit à haute voix, sous la baguette du maître Mandouze, dans une cathédrale Notre-Dame archi-comble.

Toute sa vie, ce "catho" mal-pensant va rompre des lances avec son Eglise dont il a dénoncé très tôt les compromissions avec les fascismes et sous Vichy. Il se fait des ennemis sur sa gauche (Maurice Clavel) et sur sa droite (le cardinal Daniélou, le Père Bruckberger, Mgr Lefebvre), devient la bête noire des intégristes, ne craint pas d'affronter en 1982 le cardinal Lustiger, nouvel archevêque de Paris (dans la revue La Lettre) qu'il avait connu à la Sorbonne comme aumônier. Fils spirituel de Péguy et de Mounier, André Mandouze restera dans la mouvance, en particulier près des Pères dominicains, d'un christianisme intellectuellement et socialement engagé d'abord contre l'extrême droite et contre le communisme.

Homme de réseau, il demeurera fidèle aussi aux héritiers de l'hebdomadaire Sept - qui renaîtra dans Temps présent -, de Témoignage chrétien, et il accompagnera avec chaleur et exigence l'aventure du Monde. Dès 1956, il est l'hôte régulier des déjeuners du "Petit Riche" autour d'Hubert Beuve-Méry, de Pierre-Henri Simon, de Jean Lacroix, d'André Frossard, du Père Pierre Boisselot.

Mais c'est dans sa lecture quotidienne des Evangiles que ce chrétien, marié et père de sept enfants, aura toute sa vie puisé ses leçons de liberté et de refus de toute concession. L'insoumission était pour lui un acte de foi. Parmi ses principaux ouvrages : Intelligence et sainteté dans l'ancienne tradition chrétienne (Cerf, 1962) ; Histoire des saints et de la sainteté chrétienne (Hachette, 1986-1988) et le premier tome de ses Mémoires : D'une Résistance à l'autre (Viviane Hamy, 1998).
Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 10.06.06

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-781501,0.html

J'ai découvert mardi que je cotoyais une de ses filles dans l'association où je suis bénévole.
Francois
Francois
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Message par rachel Ven 16 Juin - 15:39

Source : http://www.ldh-toulon.net/ ... André Mandouze (1916-2006), homme d’honneur et universitaire exemplaire


vendredi 9 juin 2006



A une époque comme la nôtre, où il est de bon ton dans les milieux universitaires d’invoquer la fameuse « neutralité axiologique » pour justifier son mutisme face à l’intolérable, André Mandouze restera dans nos mémoires le symbole vivant de la possible conciliation entre la rigueur scientifique et l’engament humaniste.

Par Vincent Geisser







Spécialiste de Saint Augustin et de l’histoire du christianisme antique, A. Mandouze s’était engagé très tôt dans la Résistance face au nazisme et avait pris une part active dans la fondation des journaux clandestins Témoignage chrétien et Libération, dont il sera rédacteur en chef. En 1946, il quitte la France métropolitaine pour séjourner en Algérie, où il découvre le traitement inhumain appliqué aux populations dites « indigènes ». Professeur à l’Université d’Alger, il fonde la revue Consciences maghrébines en 1954, participe au Manifeste des 121 (« Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie »), s’engage aux côtés du mouvement de libération nationale et, comme son ami Henri Alleg (directeur du quotidien Alger Républicain), est l’une des rares personnalités à dénoncer la torture pratiquée avec l’assentiment des autorités françaises : « Moi qui avais toujours été très proche des communistes depuis la Résistance, depuis l’aventure de Témoignage chrétien, j’avais été peiné que les parlementaires communistes aient voté les pouvoirs spéciaux. Je sais qu’aujourd’hui le fait est regretté, mais c’est ainsi. Pour un homme comme moi, engagé pour l’Algérie, chrétien de gauche ayant travaillé avec les communistes, et qui avait été d’Alger républicain, il est bien certain que La Question [ouvrage dénonçant la torture en Algérie] m’a fait pousser un “ouf !”. Cela peut paraître dur de dire les choses de cette façon, mais c’est ainsi que je les ai vécues. Henri Alleg a montré qu’il y avait des hommes de gauche au combat et qu’il y en avait particulièrement un - lui - qui avait témoigné et souffert pour cela. La Question reste donc, pour moi, un très beau livre, et un livre extrêmement important » [1]. Partisan du dialogue et adversaire résolu du système colonial, l’ancien résistant au nazisme connaîtra la prison en 1956 et devra subir plusieurs tentatives d’intimidation et d’assassinat de la part de l’organisation terroriste d’extrême droite, l’OAS, que certains hommes politiques français tentent pourtant aujourd’hui de réhabiliter (entre autres Georges Frêche dirigeant du Parti socialiste ou Daniel Simonpiéri maire de Marignane proche de l’UMP). Comme le rappelle, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika dans une lettre adressée à sa veuve Jeannette, André Mandouze « fut et restera dans nos mémoires un compagnon de lutte et un grand ami du peuple algérien en même temps qu’un fils valeureux de la nation française et un ardent patriote » [2].

Profondément croyant, « homme lié à Dieu » [3], il jouera un rôle fondamental dans le dialogue islamo-chrétien, non pas tant dans la production théorique que par une pratique intense et réaliste du rapprochement entre les femmes et les hommes des deux religions.

Jusqu’aux derniers jours de sa vie, André Mandouze, fidèle à ses engagements humanistes et chrétiens, dénoncera les survivances de l’idéologie coloniale et ses effets bien réels sur la société française actuelle. A ce titre, il s’est opposé avec virulence à la loi révisionniste du 23 février 2005, tentant de réhabiliter la colonisation française en Afrique du Nord : « Cet article de loi, déclarait-il, est scandaleux. Il apporte la preuve que le colonialisme est encore bien vivant dans l’esprit d’un certain nombre de gens qui regrettent que ce soit fini. Cette façon de dire “ce n’était pas si mal, ce que nous avons fait” est inadmissible. Alors que nous sommes précisément à un moment où il faut, non pas faire oublier les horreurs de la colonisation, mais réparer, il est légitime que cette loi ait soulevé l’indignation de ceux qui furent les colonisés, et celle de ceux d’entre nous, qui ont lutté pour mettre fin à l’exploitation d’autrui. La France, avec la colonisation, a tourné le dos aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité dont elle se réclame. Nous n’avons pas défendu et fait progresser ces principes du temps où l’on disait « l’Algérie c’est la France ». Aujourd’hui, je ne vois qu’une solution : l’abrogation totale et sans délai de cet article de loi sur le « rôle positif » de la présence française en Afrique du Nord. Il faut parvenir à un accord de fond pour soigner définitivement les blessures du colonialisme et que naisse entre la France et l’Algérie une véritable amitié. L’Europe, sans l’Afrique et l’Algérie, ce n’est pas l’Europe. Inversement, l’Algérie et le Maghreb, en rapport avec l’Europe, c’est la possibilité de contrer cette Amérique qui se conduit lamentablement en Irak et ailleurs. Voilà les vrais enjeux » [4].

Plus encore, A. Mandouze, à la conscience démocratique « en éveil permanent », nous prévenait des dangers d’exploitation démagogique de l’Histoire et de la mémoire, à laquelle se livrent aujourd’hui un certain nombre de professionnels de la politique et notamment le premier d’entre eux, Nicolas Sarkozy : « Je suis très heureux de la réaction des Antillais qui ont contraint Monsieur Sarkozy à annuler son voyage. Je me félicite de cette victoire de mon vieux camarade et ami, le grand poète Aimé Césaire. Il a eu raison. Ce ministre, qui confond le regard lucide sur le passé colonial avec de l’autoflagellation, ferait mieux de se taire. Comment peut-on accepter qu’un homme soit à la fois ministre de l’Intérieur et patron du parti au pouvoir ? Je considère que ce monsieur est une catastrophe pour la France. C’est un personnage dangereux, un fasciste. Par conséquent, j’espère le voir disparaître de la scène politique le plus tôt possible » [4].

En tout cas, une chose est sûre : l’humanisme sans complaisance d’André Mandouze restera pour nous tous une leçon de vie et ne disparaîtra jamais.

Vincent Geisser



A lire absolument : André Mandouze, Mémoires d’outre-siècle, tome 1 : D’une résistance à l’autre, éditions Viviane Hamy, 1998.




[1] Entretien avec André Mandouze, « Le choc de la Question », L’Humanité du 9 novembre 2001.

[2] Cité par El Moujahid du mercredi 7 juin 2006.

[3] A. Bouteflika, El Moujahid du mercredi 7 juin 2006.

[4] André Mandouze, entretien avec Rosa Moussaoui, L’Humanité du 10 décembre 2005.
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